Sébastien Erome

Sébastien Erome– Light & Transient, catalogue exposition Domus; janvier 2018

Les photographies prises par Sébastien Erôme au cours de ses multiples traversées de l’Amérique sont un peu déconcertantes comme le furent, pour les critiques, celles de Robert Frank voici un demi-siècle. Même si le regard qui parcourt Les Américains n’a rien à voir avec celui que propose la série Light & Transient, on est surpris dans les deux cas par le traitement du sujet qui n’est pas seulement un thème photographique, mais une épopée que tous les styles, historiques, littéraires et cinématographiques ont tenté de retranscrire en répondant à une attente du public. En fait, cette attente est celle du reportage convenu, qu’il soit touristique, journalistique ou télévisé, qui associe un ensemble d’informations relatives à un événement, en suivant un principe narratif ou analogique qui donne sa cohérence au sujet. La photographie de Sébastien Erôme ne vise pas tout d’abord ce large public ; elle installe, avant tout, une autre façon de regarder le monde qui définit une poétique bien particulière.

En utilisant les grands formats, le photographe modifie les codes de l’image documentaire et donne une plus large visibilité à la hiérarchie des choix qui président à ses prises de vue. Les motels et leurs hautes pancartes qui font partie du décor emblématique ordinaire des routes américaines sont cadrés soit dans le contexte de leur pourtour immédiat – ce qui privilégie leur aspect désuet – soit dans leur rapport graphique qui met en évidence des plages de couleurs criardes et complémentaires. Ces images obéissent davantage au souci de saisir une sensation fugitive qu’à celui d’exploiter un sujet d’une façon systématique, même si finalement c’est un tableau de l’Amérique qui se dessine à travers l’ensemble du projet.

Il en va de même avec les paysages urbains à propos desquels on serait à même d’invoquer, çà et là, une influence de la photographie américaine. Si l’on prend pour exemple la photo intitulée Sioux City, South Dakota, 2008, on pourrait dire que le poteau qui sépare verticalement en deux le plan de cette avenue rappelle les cadrages méthodiques de Lee Friedlander, que l’objectif qui fait face à une perspective de pylônes et de fils électriques renvoie à son tour à l’organisation des plans urbains de Stephen Shore. Mais contrairement à ces illustres prédécesseurs du paysage urbain aux Etats-Unis, l’entreprise de Sébastien Erôme n’est pas centrée sur cette particularité qui, en fin de compte, saute aux yeux de tout voyageur. Ces réminiscences, si toutefois c’en était, ne sont que d’infimes analogies sans grande importance : le déjà-vu ne constitue que la trame graphique autour de laquelle s’impose la splendeur d’un tableau.

Le parcours de Sébastien Erôme est essentiellement individuel et sa photographie s’inscrit  dans une démarche sensible, attentive à la vérité de l’instant vécu, étrangère au désir d’anecdotiser. On le ressent tout particulièrement avec les portraits qui ponctuent la série. Les personnes qu’il rencontre ne sont pas saisies en situation professionnelle ou familiale, mais au moment précis où leur expression devient indifférente à la pause. Charlotte, (Hardin, Montana. 2008), se tient debout, sans aucun apprêt, les mains croisées sur le ventre, les yeux détournés de l’objectif, tandis qu’un gigantesque ours empaillé à ses côtés semble, quant à lui, avoir été naturalisé et arrangé pour un portrait traditionnel : les yeux fixent l’appareil photo et la gueule entr’ouverte esquisse un sourire ou peut-être l’amorce d’un grondement. Dennis, (Twenty-nine Palms, California, 2008), malgré la singularité de son vêtement et la beauté de son port, exprime une indicible mélancolie.

Sébastien Erôme évite les procédés de séduction, le scoop, l’instant décisif, les effets qui attirent l’attention du plus grand nombre. Il reste au plus près de lui-même tout au long de ses visites et donne à partager des impressions fugaces qui, une fois rassemblées, découvrent une atmosphère insolite du Nouveau Monde. Light & Transient est ainsi composé à la manière d’un poème splendide et étrange sur fond d’Amérique.

Robert Pujade

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