Dominique Wildermann – Identité(s), Exposition galerie La Boucherie, Rencontres d’Arles 2019
La volonté de faire apparaître l’entièreté du corps s’est manifestée très tôt dans l’histoire du nu photographique. Le point de vue de l’objectif étant unique et donc sélectif, tous les moyens étaient bons pour élargir la visibilité et approcher une identité globale du sujet, une essence charnelle à la hauteur de la violence du désir voyeur. Des procédés classiques, faisant référence à la peinture, présentaient plusieurs nus côte à côte, renouvelant à cette occasion le thème des trois Grâces ; d’autres plus originaux consistaient à multiplier les points de vue à l’aide de miroirs inclinés ou de rivières champêtres parfois confectionnées en studio.
La série Identité(s) de Dominique Wildermann réveille ce contexte historique en ajustant dans un même cadre plusieurs points de vue différents sur un même modèle. Sur le plan technique, elle utilise le Polaroid Studio Express, appareil doté de quatre objectifs, destiné jadis à délivrer des planches de photos d’identité. Pour l’appliquer au nu, elle modifie le réglage de simultanéité des prises de vues et réalise quatre images singulières du même sujet. Il en résulte de petits tableaux photographiques, en exemplaires uniques, dans lesquels les corps sont reconstitués à la guise de l’artiste.
La refonte des corps en éléments morcelés va à l’encontre de l’unité formelle que la photographie de nu cherche habituellement à mettre en évidence : un visage peut être vu de face et de profil, des jambes, des bras se présentent sous des angles inégaux et l’on chercherait en vain à reconstruire une continuité anatomique dans cette apparence de puzzle que propose la croisée des quatre prises de vue en une seule image. La somme des parties n’est pas ici équivalente à ce « tout » qu’on appelle le nu.
Pour autant Dominique Wildermann n’opère pas une dislocation des corps. Les parties qu’elle en sélectionne sont en multi-location, liées entre elles par une harmonie étrange et réunies par des signes d’appartenance à une même totalité, moins physique que psychique. L’usage de la photographie ne consiste alors qu’à prélever des fragments révélateurs d’une personnalité, de saisir les emplacements où la vie semble avoir imprimé de façon récurrente les marques de son périple – une écriture de soi.
Voilà pourquoi, au-delà d’une interrogation sur la notion de genre à laquelle nous invitent la particularité des modèles autant que leur recomposition photographique, cette série nous plonge, par de simples effets de surface, dans la profondeur d’une identité intime, étrangère à la saisie anthropométrique à laquelle l’appareil photographique était initialement voué. Identité(S) a finalement peu de chose à voir avec le nu, , son projet vise l’âme plutôt que le corps et participe ainsi de la dimension essentiellement psychologique que Nadar assignait à la photographie.