TER 17709, 1ère classe

TER 17709, 1ère classe.

Lyon Part Dieu-Arles, porte des toilettes, 9 fév. 2018

On n’a encore rien dit sur l’abstraction tant que l’on ne l’a pas comprise comme l’action de séparer l’esprit de la matière. Dans ce mouvement, la peinture et la photographie procèdent chacune de manière différente. Le peintre intervient directement sur la matière de son art jusqu’à lui conférer la forme de son choix et isoler celle-ci en un objet indépendant de son contexte d’extraction, différent de tout objet nommable et seulement identifiable par son unique présence. L’acte du photographe n’a aucune autre matière à transformer que la réalité visible par tous et l’abstraction consiste alors essentiellement dans le cadrage. Autant dire que toute prise de vue engendre une abstraction. Aussi, tandis que le peintre peut légitimement ignorer la question : « Qu’est-ce que ça représente ? », le photographe doit pouvoir y répondre, particulièrement quand sa photographie ne représente rien qui rappelle un objet du monde.

La photographie que j’ai prise dans le TER 17709 joue sur l’ambiguïté de ces deux abstractions : elle pourrait être prise pour la photographie d’une peinture abstraite ou elle pourrait y ressembler. La légende que je lui donne n’a aucune valeur de preuve de son extraction. Elle pourrait provenir de n’importe quelle autre surface que celle des chiottes d’un TER. Ce n’est pas une peinture et c’est une photographie qui n’a d’intérêt que pour elle seule, indépendamment de son contexte.

Le Hasard, comme la peinture

Le Hasard, comme la peinture…

Bastia, La Citadelle, 9 fév. 2019

Bastia est l’une des villes où je passe mes journées à marcher pour des raisons d’équilibre personnel, j’entends par là, la dose d’irréel dont j’ai besoin pour supporter la réalité. J’admire sans modération ces vieux immeubles délabrés qui entourent le port depuis des décennies et sont restaurés un à un, m’a-t-il semblé, chaque fois qu’une bâtisse moins ancienne commence à être frappée elle-même de décrépitude. Les façades du Port et de la Citadelle apparaissent endolories par des cicatrices, des crevasses, des mousses et des champignons qui les rongent, mais cette dégradation est rehaussée par des réparations de fortune, des badigeons de plâtre et de goudron qui sont à leur tour traversés par l’humidité.

Pour peu que l’on isole, comme en des cadres, certains pans de ces pourritures, on y trouve des compositions informelles. Dans cette photographie, la forme vague d’une croix penchée au milieu d’un fouillis de surfaces surchargées de multiples ravages m’a fait penser à la copie d’une œuvre possible d’Antoni Tàpies. Le hasard, comme une peinture sans artiste, se montre parfois capable de réquisitionner la matière pour lui intimer de devenir une forme cohérente.

ELOGE DU FOUTOIR

ELOGE DU FOUTOIR

Affiches, Boulevard Emile Combes, Arles (9 déc.2018)

En associant différentes photos d’affiches prises au Boulevard Emile Combes le mois dernier, je me suis distrait aujourd’hui à les juxtaposer en une fresque qui s’apparenterait au genre abstrait, à défaut de considérer le foutoir comme une catégorie esthétique. D’où vient que ce désordre qu’il m’a plu d’ainsi composer m’attire tout autant qu’il me dérange ?

Il éveille en moi des visions de cataclysmes, d’autels démolis et de sanctuaires funéraires qui me sont familières comme des souvenirs oniriques, mais pas seulement. Les intempéries qui ont délavé, pâli, affadi et détérioré le contenu de ces affiches, ont aussi endommagé la plupart des zones de textes en les remplaçant par des écritures indéchiffrables, équivoques et presque inquiétantes. A l’opposé, les tonalités de couleurs – le rouge carmin et un bleu discrètement sombre que j’utilise comme fond pour mes modèles féminins – m’apparaissent comme des points d’appui dans ce grabuge visuel. Voilà sans doute la raison de ces prises de vue successives et insistantes dont je ne savais pas à quoi elles me serviraient quand je les ai faites.