L’Ecriture et la mort

L’Ecriture et la mort

Pays Hakka, Fujian, Chine, (2 avr. 2014)

Dans le pays Hakka du Fujian en Chine, le rez-de-chaussée des Tulus (villages cylindriques) est réservé au culte des anciens. On y pénètre et on en sort en passant à côté d’un fenestron de briques qui dessine un labyrinthe. Selon les habitants de ces lieux, il s’agit d’un message de courtoisie écrit à l’intention des promeneurs. A l’entrée du couloir circulaire, l’écriture illisible incite  les vivants à honorer les défunts, puis à la sortie, elle formule vœu qu’à leur tour, un jour, ceux qui vont mourir soient aussi honorés.

Ainsi crypté dans la géométrie d’un dédale, le message écrit n’est plus qu’un prétexte destiné à l’expression d’un vouloir dire plus énergique et plus imposant que le dire lui-même.

L’Ecriture du temps

L’Ecriture du temps

Venise, (Noël 2018)

Le temps nous révèle des choses – c’est une façon de parler – mais ne disposant d’aucune autre langue ou syntaxe que les variations qu’il impose aux apparences on peut croire qu’il bafouille ou qu’il délire. J’ai déjà écrit (dans le chapitre dédié aux géographies incertaines de ce journal) à propos de ce bégaiement du temps, comment il me plaisait de voir dans les plâtras, lézardes, mousses glauques et champignons qui envahissent les façades de Venise une condamnation à perpétuité de la ville qui avait si mal reçu les récits de Marco Polo.

En ce jour de Noël 2018, je me suis promené sur le quai des Zatterre à Venise, ravi de me retrouver pour quelques jours seul, c’est-à-dire sans femme. J’ai marché longtemps en direction du Campo San Barnaba et me suis arrêté au bord d’un canal pour observer sur le quai de la rive d’en face une ouverture murale peinte en noir, bordée d’un cadre blanc. Le temps avait craquelé la couche de peinture qui ainsi dégarnie laissait transparaître une silhouette de femme. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que je n’allais pas rester seul très longtemps…

APPARAISSANCE DE L’ECRITURE

APPARAISSANCE DE L’ECRITURE

Sur le voie ferrée ente Cologne et Düsseldorf. (19 nov. 2018)

J’ai aimé, dans un coup d’œil à la sauvette, fixer la dissonance entre les matériaux bruts d’un muret de soutènement et la finesse d’une dalle de béton clair, toute gribouillée de giclées de peinture. Pas de message ou d’intention manifeste dans les traces de ces gestes au pinceau que j’ai pourtant révérés comme une espèce insolite de signes.

Des cheminots affairés à repeindre des tôles avaient essuyé leurs outils pour protéger leur ouvrage de dégoulinures inesthétiques qui se retrouvent au bas des traînées noires comme les franges d’une étole. Inégalement appuyée sur la surface blanchâtre du béton, chaque touffe de brosses, par sa trempe grossière, dessine des rainurages plus ou moins espacés où s’intercalent diverses macules, des coulures et quelques zébrures provenant du frottis des viroles.

Vues de loin, ces bavures ne sont ni tout à fait des dessins ni tout à fait des lettres mais, par opposition avec les raclures iconoclastes sur les ciments du mur en contrebas, elles composent en frise une continuité d’expression où rien d’autre qu’elle-même n’est représenté. J’y perçois la force d’un vouloir-dire s’acheminant vers l’écriture.