La ruelle ténébreuse

La ruelle ténébreuse

Moscou (11avr. 2017)

A Las Vegas, Paris est un modèle réduit des lieux les plus touristiques de la capitale et les visiteurs peuvent déambuler de l’un à l’autre sans métro ni taxi. A Moscou, une ruelle permet de rejoindre directement la Tour Eiffel grâce à un mural inséré parmi un bloc d’immeubles.

Quand j’y retournerai un jour, les intempéries auront délavé, puis effacé cette illusion d’optique. Je chercherai alors en vain ce passage aussi mystérieux que La Ruelle ténébreuse de Jean Ray.

Couleurs du désordre

Couleurs du désordre

Porto, (4 févr. 2019)

Un assortiment harmonieux de couleurs, telle était la raison première de cette vue du ciel. Mais cette douceur de tons d’un paysage aquarellé recouvre des réalités inquiétantes dans l’ordre où les situe le cadre photographique. Un avion – celui-là même dans lequel je me trouve – semble sortir de terre pour rejoindre l’air libre.

Le ciel est par-dessus la couche d’ozone – le toit du monde – et l’horizon est blanc comme une orange.

L’Innommable au bord de la mer

L’Innommable au bord de la mer

Presqu’île de Rügen, (10 juin 2017)

Il aura fallu mon séjour à Rügen pour comprendre de visu pourquoi H. P. Lovecraft redoutait les rivages maritimes. Ce grand maître du fantastique ne discernait pas toujours la frontière qui séparait ses récits d’horreur de la réalité et la mer était pour lui l’habitacle de ceux qu’il appelait les Grands Anciens, issus de l’accouplement abominable de vivants aquatiques avec des humains.

Mes promenades photographiques sur les rives de la Baltique m’ont placé, à plusieurs reprises, en face de figures innommables que j’aurais prises pour des hallucinations, si la prise de vue n’avait pas confirmé que je ne rêvais pas.

Erreur de casting

Erreur de casting

Près de l’Academia, Venise, (20 août 2013)

A Venise, devant la vitrine d’un restaurateur de tableaux, j’ai cadré une peinture représentant l’enfant Jésus instruisant les docteurs de la loi. Sa main droite est tendue vers le ciel, et la gauche, par un miracle imprévu, soutient le culot de ma pipe. L’un des docteurs pointe son index vers moi comme pour signaler une erreur de casting.

Dans le regard d’un autre

Dans le regard d’un autre

Temple du Lama, Pékin – (29 nov. 2014)

Plus rares, et pour moi plus émouvantes, les images où quelqu’un d’autre miroite mon propre regard. Au temple du Lama à Pékin, seul étranger perdu au milieu d’une foule qui ne me regarde pas, un homme étrangement surélevé par rapport aux autres rencontre mon regard au moment où je photographie la porte d’entrée du temple. Exister dans le regard d’un autre, même par le plus grand des hasards, est la source d’un authentique autoportrait.

L’Ecriture et la mort

L’Ecriture et la mort

Pays Hakka, Fujian, Chine, (2 avr. 2014)

Dans le pays Hakka du Fujian en Chine, le rez-de-chaussée des Tulus (villages cylindriques) est réservé au culte des anciens. On y pénètre et on en sort en passant à côté d’un fenestron de briques qui dessine un labyrinthe. Selon les habitants de ces lieux, il s’agit d’un message de courtoisie écrit à l’intention des promeneurs. A l’entrée du couloir circulaire, l’écriture illisible incite  les vivants à honorer les défunts, puis à la sortie, elle formule vœu qu’à leur tour, un jour, ceux qui vont mourir soient aussi honorés.

Ainsi crypté dans la géométrie d’un dédale, le message écrit n’est plus qu’un prétexte destiné à l’expression d’un vouloir dire plus énergique et plus imposant que le dire lui-même.

L’Ecriture du temps

L’Ecriture du temps

Venise, (Noël 2018)

Le temps nous révèle des choses – c’est une façon de parler – mais ne disposant d’aucune autre langue ou syntaxe que les variations qu’il impose aux apparences on peut croire qu’il bafouille ou qu’il délire. J’ai déjà écrit (dans le chapitre dédié aux géographies incertaines de ce journal) à propos de ce bégaiement du temps, comment il me plaisait de voir dans les plâtras, lézardes, mousses glauques et champignons qui envahissent les façades de Venise une condamnation à perpétuité de la ville qui avait si mal reçu les récits de Marco Polo.

En ce jour de Noël 2018, je me suis promené sur le quai des Zatterre à Venise, ravi de me retrouver pour quelques jours seul, c’est-à-dire sans femme. J’ai marché longtemps en direction du Campo San Barnaba et me suis arrêté au bord d’un canal pour observer sur le quai de la rive d’en face une ouverture murale peinte en noir, bordée d’un cadre blanc. Le temps avait craquelé la couche de peinture qui ainsi dégarnie laissait transparaître une silhouette de femme. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que je n’allais pas rester seul très longtemps…

APPARAISSANCE DE L’ECRITURE

APPARAISSANCE DE L’ECRITURE

Sur le voie ferrée ente Cologne et Düsseldorf. (19 nov. 2018)

J’ai aimé, dans un coup d’œil à la sauvette, fixer la dissonance entre les matériaux bruts d’un muret de soutènement et la finesse d’une dalle de béton clair, toute gribouillée de giclées de peinture. Pas de message ou d’intention manifeste dans les traces de ces gestes au pinceau que j’ai pourtant révérés comme une espèce insolite de signes.

Des cheminots affairés à repeindre des tôles avaient essuyé leurs outils pour protéger leur ouvrage de dégoulinures inesthétiques qui se retrouvent au bas des traînées noires comme les franges d’une étole. Inégalement appuyée sur la surface blanchâtre du béton, chaque touffe de brosses, par sa trempe grossière, dessine des rainurages plus ou moins espacés où s’intercalent diverses macules, des coulures et quelques zébrures provenant du frottis des viroles.

Vues de loin, ces bavures ne sont ni tout à fait des dessins ni tout à fait des lettres mais, par opposition avec les raclures iconoclastes sur les ciments du mur en contrebas, elles composent en frise une continuité d’expression où rien d’autre qu’elle-même n’est représenté. J’y perçois la force d’un vouloir-dire s’acheminant vers l’écriture.

Hotel du nord

Hôtel du Nord, Corte (Corse)

J’ai résidé plusieurs jours dans cet hôtel luxueux tout d’abord à l’occasion d’un colloque universitaire. La chambre était disponible les jours suivant cet événement. J’ai décidé d’y rester une semaine supplémentaire pour écrire, mais aussi parce que j’aime éperdument la Corse. Un matin, la muse qui m’accompagnait, allongée nue sur le lit, éveilla dans ma mémoire le souvenir de certaine Vénus du Titien.

C’est là que j’ai écrit une grande partie de mon livre dédié à Hervé Guibert. A quoi pense-ton quand on écrit ?

Saragosse

Saragosse, Musée Camon Aznar, 2013

A peine entré dans le hall du Musée Camon Aznar de Saragosse, la mise en scène de la photo du peintre Hermenegildo Anglada-Camarasa, posant tout près de la Sibille qu’il avait peinte en 1903, m’a fait pressentir que j’allais éprouver une révélation.

Ce peintre que je ne connaissais pas, avait mené jusqu’à leur terme les grands courants picturaux de son temps : il invente et parachève l’audace fauviste, ennoblit la palette de Degas, donne chair au style de Klimt et engage l’impressionnisme aux limites de l’abstraction. Cette clairvoyance dans le destin de la peinture, que symbolise sa Sibille en pleine lumière, aurait mérité une diffusion virale de son œuvre, mais à mon grand étonnement je n’en ai plus entendu parler.